LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 décembre 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3356 du 13 décembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour MM. Ousmane K., Kodjo B. et Youssef C. par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-694 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-635 DC du 4 août 2011 ;
- la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ;
- les arrêts de la Cour de cassation du 8 février 2017 (chambre criminelle, n° 15-86.914, n° 16-80.389 et n° 16-80.391) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Waquet-Farge-Hazan, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Bernard C. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 19 janvier et 5 février 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la SCI Baraka par la SCP Waquet-Farge-Hazan, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hélène Farge, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants et la SCI Baraka, partie intervenante, Me Éric Dupont-Moretti, avocat au barreau de Paris, pour les requérants, Me Marie Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour M. Bernard C., partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 février 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion de pourvois en cassation contre des arrêts de cour d'assises rendus en 2017. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 362 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 août 2014 mentionnée ci-dessus, et de l'article 365-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2011 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 362 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, fixe les règles relatives à la formation de la décision de la cour d'assises sur la peine. Il prévoit :
« En cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président donne lecture aux jurés des dispositions des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal. La cour d'assises délibère alors sans désemparer sur l'application de la peine. Le vote a lieu ensuite au scrutin secret, et séparément pour chaque accusé.
« La décision sur la peine se forme à la majorité absolue des votants. Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être prononcé qu'à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et qu'à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel. Si le maximum de la peine encourue n'a pas obtenu cette majorité, il ne peut être prononcé une peine supérieure à trente ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité et une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion criminelle. Les mêmes règles sont applicables en cas de détention criminelle. Si la cour d'assises a répondu positivement à la question portant sur l'application des dispositions du second alinéa de l'article 122-1 du même code, les peines privatives de liberté d'une durée égale ou supérieure aux deux tiers de la peine initialement encourue ne peuvent être prononcées qu'à la majorité qualifiée prévue par la deuxième phrase du présent alinéa.
« Si, après deux tours de scrutin, aucune peine n'a réuni la majorité des suffrages, il est procédé à un troisième tour au cours duquel la peine la plus forte proposée au tour précédent est écartée. Si, à ce troisième tour, aucune peine n'a encore obtenu la majorité absolue des votes, il est procédé à un quatrième tour et ainsi de suite, en continuant à écarter la peine la plus forte, jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée.
« Lorsque la cour d'assises prononce une peine correctionnelle, elle peut ordonner à la majorité qu'il soit sursis à l'exécution de la peine avec ou sans mise à l'épreuve.
« La cour d'assises délibère également sur les peines accessoires ou complémentaires.
« Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine en vue d'une éventuelle rétention de sûreté conformément à l'article 706-53-14 ».
3. L'article 365-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, est relatif à la motivation de l'arrêt de la cour d'assises. Il prévoit : « Le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l'arrêt.
« En cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356, préalablement aux votes sur les questions.
« La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l'article 364.
« Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision ».
4. Les requérants et les parties intervenantes soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles n'imposent pas à la cour d'assises de motiver la peine, portent atteinte aux principes de nécessité et de légalité des peines, au principe d'individualisation des peines, au droit à une procédure juste et équitable, aux droits de la défense et au principe d'égalité devant la loi et devant la justice.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale.
- Sur la recevabilité :
6. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
7. L'article 365-1 du code de procédure pénale a été créé par la loi du 10 août 2011. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné cet article dans les considérants 29 à 31 de sa décision du 4 août 2011 mentionnée ci-dessus et l'a déclaré conforme à la Constitution. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, d'une part, la Cour de cassation a jugé, dans les trois arrêts du 8 février 2017 mentionnés ci-dessus, que les dispositions de l'article 365-1 du code de procédure pénale excluent la possibilité pour la cour d'assises de motiver la peine qu'elle prononce en cas de condamnation. D'autre part, le premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale a été modifié par la loi du 15 août 2014, afin de prévoir qu'en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président de la cour d'assises donne lecture aux jurés des articles 130-1 et 132-1 du code pénal, qui rappellent les finalités de la peine et la nécessité d'individualiser celle-ci. Il en résulte un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
8. Il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'il appartient au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine.
9. En application de l'article 365-1 du code de procédure pénale, le président ou l'un des magistrats assesseurs désigné par lui doit rédiger la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises. Selon le deuxième alinéa de cet article, en cas de condamnation, la motivation doit comprendre l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises au terme des délibérations sur la culpabilité. En revanche, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'article 365-1 du code de procédure pénale interdit la motivation par la cour d'assises de la peine qu'elle prononce.
10. En n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
12. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer les modalités selon lesquelles, en cas de condamnation, la motivation d'un arrêt de cour d'assises doit être rédigée en ce qui concerne la culpabilité. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er mars 2019 la date de cette abrogation.
13. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger, pour les arrêts de cour d'assises rendus à l'issue d'un procès ouvert après cette date, que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme imposant également à la cour d'assises d'énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments l'ayant convaincue dans le choix de la peine.
14. Les arrêts de cour d'assises rendus en dernier ressort avant la publication de la présente décision et ceux rendus à l'issue d'un procès ouvert avant la même date ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 12 à 14 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 2 mars 2018.